Arrêtez de dire aux femmes qu’elles souffrent du syndrome de l’imposteur

Le terme « syndrome de l’imposteur » est sexiste. Il se focalise sur les soit-disant manque de confiance en soi de la femme et non sur les mécanismes et les préjugés qui entrainent ce manque de confiance en soi.

Illustration by Marysia MachulskaSummary.

Talisa Lavarry était épuisée. Elle devait organiser un événement pour son entreprise. Un événement d’une très grande importance. Elle travaillait sans relâche. Barack Obama était l’un des intervenants.

Lavarry savait gérer tout ce qui relevait de la logistique mais ne s’était pas préparée à devoir gérer ses collègues de bureau. Cette opportunité qui aurait pu l’aider à prouver ses compétences a tourné au cauchemar. Ses collègues se sont mis à la questionner, à douter de son professionnalisme. Leur harcèlement, ouvert ou subtil, a perturbé chacune de ses décisions. Lavarry s’est demandé si sa peau noire était la raison de cet harcèlement. Après tout, elle était la seule femme Noire de l’équipe. Elle s’est demandé si elle était qualifiée pour le job même si les clients, eux, étaient très satisfaits de son travail.

Les relations sont devenues si tendues dans son équipe qu’elle a été rétrogradée de cheffe d’équipe à cheffe adjointe. Ses compétences n’étaient plus reconnues par ses collègues. Chaque action qui lui était retiré lui faisait perdre confiance en elle. Elle s’est mise à développer de l’anxiété, de la haine de soi et le sentiment qu’elle était une fraude.

Ce qui a commencé comme un simple questionnement ordinaire ( est-ce que je vais y arriver? Mes collègues vont-ils m’aimer?) s’est transformé en angoisse proche du suicide.

Aujourd’hui, quand Lavarry pense au syndrome de l’imposteur, elle repense à cette époque. Non, elle ne souffrait d’un manque de confiance en elle. Ce sont les préjugés racistes qui l’ont détruite.

Examinons le syndrome de l’imposteur tel que nous le connaissons

Le syndrome de l’imposteur c’est le fait de douter de ses capacités et se sentir illégitime.

Les psychologues Pauline Rose Clance and Suzanne Imes ont développé le concept qui à l’origine s’appelait « le phénomène de l’imposture » dans leur étude qui se focalisait sur les femmes qui ont une haute position sociale. Malgré leurs accomplissements professionnels, les femmes qui souffraient du phénomène de l’imposture avaient l’impression de n’être pas assez brillantes et qu’elles dupaient tout le monde. Les recherches des 2 psychologues se fondent sur des dizaines d’années d’observation de leadership, de programmes et d’initiatives. Même les femmes d’Hollywood (comme Charlize Theron et Viola Davis), les cheffes d’entreprises comme Sheryl Sandberg, l’ex première dame Michelle Obamaou encore la juge de la cour suprême Sonia Sotomayor ont confié avoir déjà eu le syndrome de l’imposteur.

Mais l’impact du racisme systémique, du classisme, de la xénophobie et autres préjugés sont absents de ce concept du syndrome de l’imposteur. Beaucoup de groupes ont été exclus de l’étude comme les femmes Noires ou les femmes de différentes catégories sociales. Le syndrome de l’imposteur blâme l’individu sans prendre en compte l’histoire et le contexte culturel qui agissent dans la vie des femmes. Le syndrome de l’imposteur dirige son regard vers les femmes au lieu de le diriger sur les éléments qui entraînent ce sentiment.

Se sentir peu sûre de soi ne fait pas de toi un imposteur

Le syndrome de l’imposteur c’est le sentiment d’inconfort, se sentir au second plan, ressentir de l’anxiété au travail qui finit par persister de manière pathologique. Quand les hommes Blancs progressent, leur sentiment de doute diminue au fur et à mesure car ils sont constamment validés. Ils ont des figures auxquelles ils peuvent se référer et leurs compétences ou leur leadership sont rarement remis en question. Pour les femmes, c’est le contraire. On assiste rarement à une conférence pour femmes où il n’y a pas un atelier dédié au syndrome de l’imposteur et comment le surmonter.

Porter l’étiquette « syndrome de l’imposteur » est une charge trop lourde à porter. Le mot « Imposteur » rajoute un sentiment de criminalité à ce qui est simplement un sentiment de manque de confiance en soi. En plus, le terme « syndrome » est un terme médical qui rappelle le terme  » hystérie » du XIXe siècle. Alors que le sentiment d’incertitude est tout à fait normal, on dit aux femmes qu’elles souffrent du syndrome de l’imposteur quand elles ressentent du doute. Même si les femmes font preuve d’ambition et de résilience, nos batailles quotidiennes contre les microagressions surtout les microagressions racistes nous mettent au plus bas.

Non seulement le syndrome de l’imposteur ne réussit pas à montrer les différentes dynamiques qui font obstacle à l’épanouissement des femmes mais il fait en sorte que les femmes aient à porter le fardeau des effets indésirables de ces dynamiques. Au lieu de chercher la solution chez l’individu, il faut rechercher les causes du problèmes qui résident dans un système basé sur les discriminations et les abus de pouvoir.

Les préjugés et l’exclusion exacerbent le sentiment de doute

Les femmes Noires peuvent ressentir un sentiment de doute au travail plus prononcé que chez les autres femmes pas parce qu’elles ont moins de confiance en elles mais parce que le fait d’être femme ET Noire nous place dans des situations difficiles au travail. Beaucoup d’entre nous entendent de manière explicite ou implicite que l’endroit dans lequel nous travaillons appartient à l’homme Blanc. La moitié des femmes Noires veulent quitter leur emploi au bout de 2 ans à cause du sentiment d’exclusion. Le sentiment d’exclusion est l’une des raisons pour laquelle les femmes Noires quittent leur emploi pour devenir des autoentrepreneurs.

“Ce que l’on considère « professionnel » est un processus d’évaluation qui est influencé par les clichés » déclare Tina Opie, une professeure de l’Université de Babson. Quand des employés essaient d’atteindre un niveau jamais atteint auparavant par des gens qui leur ressemblent, il y a une forte pression pour qu’ils soient excellents. La femme latina la plus engagée devient soudainement silencieuse en réunion. La femme Indienne qui devait recevoir une promotion reçoit des commentaires sur son manque de leadership. La femme Trans qui parlait souvent ne le fait plus car son manager lui fait des remarques sur son genre. La femme Noire dont les questions aidaient à créer de meilleurs produits ne se sent plus de participer après qu’on lui ait dit qu’elle n’a pas l’esprit d’équipe. Pour les femmes Noires, le sentiment de doute vient des préjugés racistes.

En vrai, nous ne nous sentons pas à notre place car nous n’étions pas supposées être à cette place. Notre présence est le fruit de dizaines d’années de militantisme et de lois votées à contrecoeur. Les institutions sont toujours controlées par des clubs d’hommes appartenant à la white suprémacie. Les préjugés dans les institutions empêchent les personnes issues des minorités de réussir.

La réponse pour surpasser le syndrome de l’imposteur n’est pas de s’occuper de l’individu mais de créer un environnement dans lequel il y a une variété de leaders avec différents styles, différentes origines et différentes identités de genre. Ces leaders doivent être vus comme aussi professionnels que les leaders actuels. C’est ce que préconise Opie qui décrit le modèle actuel comme étant  » eurocentré, masculin et hétéronormé. »

Confiance en soi ne signifie pas compétences

Nous confondons souvent confiance en soi (celle démontrée par les hommes Blancs leaders) d’une part et compétences et leadership d’autre part. Les employés qui ne démontrent pas une confiance en eux conforme à celle exprimée par les hommes Blancs se voient taxés de « porteur du syndrome de l’imposteur ». Selon le psychologue Tomas Chamorro Premuzic :

La vérité c’est que partout dans le monde les hommes se pensent plus intelligents que les femmes. L’arrogance et l’excès de confiance sont vus comme des signes de leadership.

Le système qui récompense les hommes pour leur confiance (même s’ils sont incompétents), punit les femmes Blanches car elles manquent de confiance en elles, punit les femmes Noires qui ont trop de confiance en elles, et punit toutes les femmes qui ont confiance en elles d’une manière autre que patriacale. Ces préjugés sont insidieux et complexes et prennent source dans les définitions du « bon » comportement selon le modèle du leadership de l’homme Blanc. Les recherches montrent que bien souvent les femmes Noires sont vues comme « inférieures » dans l’entreprise à leur arrivée mais plus elles gagnent de l’influence plus elles sont vues comme des menaces.

Se focaliser sur les préjugés, pas les femmes

Le terme syndrome de l’imposteur est très commun dans des cultures qui privilégient l’individualisme et la performance au travail. Pendant des dizaine d’années, on nous a dit de nous occuper du « syndrome d’imposteur des femmes ». Au lieu de focaliser sur le syndrome de l’imposteur, les professionnels qui ont été marginalisés et discriminés veulent voir un changement de société.

Les leaders doivent créer la possibilité de parler des préjugés et du racisme. C’est seulement en faisant cela que l’on peut réduire le soit-disant syndrome de l’imposteur.

Arrêtons de diagnostiquer les femmes avec le syndrome de l’imposteur.

Article traduit par VJV et écrit par Ruchika Tulshyan autrice de  The Diversity Advantage: Fixing Gender Inequality In The Workplace et fondatrice de Candour, une entreprise de stratégie inclusive.

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