LES AFRICAINS SONT-ILS DES COBAYES?

Tout part de cette vidéo polémique.

Dialogue sur LCI entre Jean-Paul Mira, médecin réanimateur de l’hôpital Cochin et Camille Locht, chercheur à l’INSERM

A) Analyse du dialogue

DISCOURS INAPPROPRIÉ

Tout d’abord, le ton est « provocateur » ( avec sourire en coin)  alors que l’on parle d’une pandémie qui tue des dizaine de milliers de personnes. C’est méprisant.

En écoutant l’extrait, on a aussi l’impression que l’idée d’intégrer des Africains dans le dispositif a émergé sur le plateau télé « Est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude en Afrique? » Il fait comme si l’idée venait de lui alors que l’intégration des Africains dans cet essai clinique avait déjà été pensé par l’INSERM.
Il aurait été plus juste de dire « Avez-vous prévu d’intégrer des Africains dans l’étude? » ou alors  » et si on demandait aux Africains s’ils sont volontaires pour cette étude? »
Pourquoi Jean-Paul Mira n’a pas posé la question comme cela.

C’est Jean-Paul Mira qui installe cette sensation désagréable de toute puissance qui décide sans avoir besoin de consulter un intermédiaire africain.

Ainsi, dès les premières secondes de son intervention, il instaure un rapport de force ( pour ne pas dire de domination) malsain dans son discours  » provocateur ».

La forme n’est pas professionnelle. Ce n’est pas sur un plateau télé qu’on décide de qui intègre un essai clinique ou non. Trop de légèreté, un ton inapproprié, une demande mal formulée qui laisse penser que la décision s’est prise sur le plateau télé entre ces 2 scientifiques en faisant fi du consentement des Africains.

De plus, le discours manque d’humanité. Cette phrase « Je pense qu’il y a un appel d’offre qui est sorti. »dixit Camille Locht, chercheur à l’inserm. Le terme « appel d’offre » dans le cadre d’êtres humains est complètement inapproprié.

PRÉJUGÉS SUR L’AFRIQUE

Il y a dans les propos de Jean-Paul Mira ( médecin réanimateur) une volonté de dévaloriser l’Afrique. Il emploie les termes  » pas de masques, pas de traitement, pas de réanimation » en laissant penser qu’il s’agit d’une situation propre à l’Afrique.


Revenons sur ces termes :
« Pas de masque » : c’est aussi le cas de la France. Nul besoin d’aller en Afrique pour voir ce genre de situation. La pénurie de masques en France est gravissimes. Les soignants n’ont pas de masques pour se protéger du coronavirus. Seules 4 usines produisent des masques en France. Pour le reste, ils vont le chercher en Chine.
« Pas de traitement » : au jour où j’écris aucun pays n’a de traitement du coronavirus c’est pourquoi il y a  jusqu’à 700 morts par jour en France ou en Italie.
« Pas de réanimation » : en France les lits de réanimation manquent cruellement. Il n’y en a pas assez pour tous les malades. En quoi est-ce spécifique de l’Afrique?

Il fait passer l’Afrique pour un continent qui n’a aucune infrastructure or les situations qu’il prend en exemple ne sont pas propres  à l’Afrique.
Mais Jean-Paul Mira ne s’arrête pas là. Il  continue à accumuler les clichés stigmatisants quand il relie l’Afrique au sida et aux prostituées.

2 femmes africaines portant des masques

On remarquera que son interlocuteur lui répondra par un « Vous avez raison »…

PROSTITUÉES, VIH. DES ESSAIS ÉTHIQUES ?

Jean-Paul Mira dit ceci « est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude en Afrique […] un peu comme c’est fait d’ailleurs chez les prostituées ».

Alors s’il veut tester les Africains comme on a testé les prostituées par rapport au VIH, on peut légitimement se demander comment les tests du VIH ont été faits sur les prostituées?

Le STRASS (Syndicat du travail sexuel France) dénonce dans un tweet que les prostituées africaines et asiatiques ont servi de cobayes pour des tests VIH.

En juillet 2004, l’antiviral contre le SIDA TENOFOVIR est testé sur 400 prostituées camérounaises sans consentement et en ne respectant pas toutes les exigences éthiques ( Source Docteur Jean-Philippe Chippaux )

Si on teste les Africains comme on a testé les prostituées vis-à-vis du VIH cela signifie que l’on s’apprête à se servir d’eux comme cobayes.

L’OMS a condamné le discours de ces 2 scientifiques qui se sont excusés.

B) Le rapport entre les essais cliniques et les corps Noirs

Pour mieux comprendre les rapports entre les essais cliniques et les corps Noirs, nous allons nous baser sur 2 documents de l’INSERM.

L’INSERM est l’institut national de la santé et de la recherche médicale. Sur son site, on peut trouver 2 documents intéressants. « Du VIH à Ebola, réflexions éthiques sur la recherche en santé dans les pays du Sud »(2015) et un autre document « Du consentement éclairé au consentement négocié »(2018)

Ces documents ont été écrits par le comité éthique de l’Inserm.

Que nous disent ces documents?

●On apprend que la mise en place de réglementations éthiques concernant les essais cliniques en Afrique a été tardive. En effet, alors que les épidémies du VIH et de Ebola ont commencé respectivement en 1983 et en 1973, la réflexion éthique sur la recherche en santé dans les pays du Sud a commencé en 1996. Le comité d’éthique concernant les pays du Sud a été mis en place en 2013. Cela signifie que des essais cliniques ont été effectués en Afrique avant une réflexion éthique réelle.

●le document de 2018 nous montre que le consentement est difficile à obtenir et ce pour plusieurs raisons ( ou obstacles).
L’une des premières raisons est la compréhension. Comment traduire des termes scientifiques précis en langues vernaculaires? Comment traduire biologie moléculaire dans certaines  langues. Ainsi, dans le document, il est admis que le consentement ne peut pas être totale.
De plus, la vulnérabilité économique ne permet pas d’obtenir un « oui » réellement consenti.

Toujours dans le document de 2018, on y apprend que les préjugés des chercheurs européens envers certaines zones du monde ( notamment l’Afrique) empêche de considérer l’individu africain avec tout le respect qu’il faut et de lui donner toutes les informations nécessaires à une bonne compréhension.  En effet, la prise en compte de la culture du patient est nécessaire à une meilleure compréhension. Mais comment s’intéresser à la culture d’un individu quand on méprise cette même culture?

●Des manquements éthiques ont été observés dans le document de 2015.

Le 11 août 2014, des médicaments dans le cadre de Ebola sont donnés alors que  » l’efficacité et la toxicité ne sont pas connues ».
Des tournures de phrases nous montrent que les exigences éthiques n’ont pas toujours été  observées en Afrique.
 » Par les tensions éthiques qu’elle a provoquées, l’infection à VIH a fait évoluer les pratiques de soin et de recherches en santé »
Le terme  » tensions éthiques » bien qu’équivoque montre les difficultés à respecter les exigences éthiques en Afrique.

En 2015, on lisait aussi  « À partir des leçons apprises des deux épidémies, cette note conjointe de l’Inserm et de l’IRD invite les chercheurs et leurs institutions à porter une réflexion éthique au-delà du strict champ de la recherche et de regarder de plus près ce Sud où les recherches sont et vont être réalisées ». Ici, les chercheurs sont invités à faire ce qu’ils ne faisaient manifestement pas avant c’est-à-dire réfléchir sur l’éthique de leurs tests.

●Ces documents montrent que les Africains peuvent en effet avoir  légitimement le sentiment d’être des cobayes.
Au-delà des essais cliniques, c’est la question de « l’après essai clinique » qui est posée. En effet, après avoir testé les Africains, à qui iront les traitements?
Concernant le VIH, les traitements  de trithérapie ont été prioritairement délivrés aux Européens. Ces traitements trop chers sont inaccessibles aux Africains alors qu’ils ont participé aux essais…

De plus, les connaissances acquises lors des essais cliniques seront-elles partagé avec l’Afrique? Non. Il n’existe pas de laboratoires africains indépendants. Les laboratoires en Afrique sont rattachés à des laboratoires européens. Ainsi, le savoir reste européen.

Les Africains peuvent réellement avoir cette impression de servir de cobayes car bien qu’ils soient présents dans les essais cliniques ils ne font pas les bénéficiaires  des traitements et ne sont pas informés des nouvelles connaissances acquises.

●Il existe dans l’histoire de France des moments dans lesquels les Africains ont servi de cobayes. Lors de la 1ère guerre mondiale, les tirailleurs Sénégalais ont servi de cobayes. Ainsi, 1200 tirailleurs Sénégalais ont été volontairement infectés au pneumocoque par le médecin Kerandel.
Il y a eu aussi des personnes volontairement infecté au BCG  à Dakar et au Congo-Brazzaville. ( Ces faits figurent dans les documents de l’Inserm).

Tirailleurs Sénegalais lors de la 1ère guerre mondiale

Y-a-t-il eu d’autres essais sur les Africains?

Oui.

En mars 2005, d’autres essais clinique concernant l’antiviral TENOFOVIR ont été suspendus au Nigeria en raison de manquement grave au respect des exigences éthiques c’est-à-dire absence de consentement, informations sommaires, contrôles thérapeutiques insuffisants, faible bénéfice pour le malade ou la population (faible bénéfice = le traitement et les connaissances acquises lors de l’essai ne bénéficieront pas au patient ni à la population dont il est issu).

En août 2001, une trentaine de familles nigérianes portent plainte au tribunal de New-York afin de faire condamner le laboratoire Pfizer pour le test du TROVAN ( antibiotique contre la méningite). 11 enfants vont mourir, d’autres ont eu des lésions cérébrales irréversibles  les handicapant ainsi à vie.

Victime du laboratoire Pfizer avec sa mère

C) LES SOLUTIONS

Que faire pour que les Africains ne servent plus de cobayes?
Aucune solution n’est LA solution miracle mais ce sont des pistes de réflexion. (Celui qui a la solution miracle peut la donner, on sera ravi de le suivre.)

Il y a des solution qui ont plus une visée psychologique mais qui ne changeront pas le rapport Nord-Sud. Elles visent à montrer notre mécontentement, et à obtenir un respect dans les paroles ( mais pas forcement dans les actes). Il s’agit des solutions d’indignation. Les gens s’indignent sur Facebook et font des pétitions. D’autres associations saisissent CSA ( conseil supéreur de l’audiovisuel). D’autres associations porteront plainte contre le docteur Jean-Paul Mira.

Il y a des solutions qui visent à être plus regardants sur les tests qui se font en Afrique. Il s’agit de soutenir (ou créer) des associations militantes sur place en favorisant des actions tels que les caméras  cachés pour dénoncer des situations inappropriés.  Il nous appartient de soutenir ou créer ces associations.

Enfin, il y a des solutions plus difficiles à mettre en place mais beaucoup plus pérennes comme la mise en place de laboratoires Africains indépendants pouvant réaliser leurs propres tests et mettre en place leur propre traitement.

VJV











Une réflexion sur “LES AFRICAINS SONT-ILS DES COBAYES?

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