Aïssa Maïga : Un discours malaisant?

FLASHBACK

Aïssa arrive dans une somptueuse robe couleur or pour remettre le prix du « meilleur espoir féminin ».

Le discours en entier ici

C’est Aïssa. On ne craint rien! Elle remettra le prix et basta.

Mais tout ne se passe pas comme prévu. D’ailleurs, dès les départ elle semble stressée. Quelque chose ne va pas. Mais bon.

C’est Aïssa. On n’a rien à craindre…

Elle commence par s’adresser aux personnes Noires de l’assemblée. Elle lance à Ladj Ly « c’était bien L.A? »

Alors on commence à comprendre qu’il y a peut-être quelque chose à craindre.

Puis elle rit. Seule. Silence. Regards inquiets. Sourires brisés.

« C’est plus fort que moi, je ne peux pas m’empêcher de compter le nombre de Noirs dans la salle. » Ca y est! On a tous compris maintenant. Il sera bien question de race. La gêne s’amplifie. Les respirations se coupent. Pourvu que ça ne dure pas trop longtemps…

Vincent Cassel et sa femme
Vincent Cassel avec sa femme, le jour de la cérémonie des Césars. Ils écoutent le discours de Aïssa Maïga.

« J’en ai oublié un, c’est Vincent Cassel. C’était toi le renoi du cinéma francais avant… avant la diversité? » Regard interrogateur de l’intéressé. Peu de gens à ce moment là comprennent de quoi elle parle. Est-ce parce que sa copine est métisse? On est plusieurs à ne pas comprendre.

Puis elle enchaîne sur l’invisibilité des Non Blancs, sur les rôles stéréotypés qu’on leur donne à jouer, sur la nécessité de lutter tous ensemble pour une meilleure représentation des Non Blancs dans le cinéma français.

« On est une famille. On se dit tout? »

Apparamment, non….

Regards crispés, lèvres pincées, regards inquiets, rires gênés…. L’actrice a surpris, interrogé, déçu, convaincu… Quelle femme!

SURPRISE

Qui l’eût cru? Qui l’eût cru que la chouchoute Noire du cinéma francais ferait un tel discours? Elle ne nous a pas habitué à ça.
Aïssa Maïga est perçu comme douce (docile?). Elle semble avoir des rôles diverses et variés. Elle semble épanouie dans le 7ème art.
Qui lui a donc soufflé une telle idée? (Fary à la barre…)

Oui, elle a fait partie des artistes qui ont signé le livre « Noir n’est pas mon métier » aux côtés de plusieurs actrices Noires.

Un livre qui parle des préjugés sur les femmes Noires dans le cinéma.

Elle y dénonçait déjà les difficultés à être une femme Noire dans l’industrie du cinéma francais. Néanmoins, il est vrai que de toutes les actrices Noires elle est la mieux lotie. Alors, on s’était dit que comme tous les Noirs qui ont réussi, elle finirait par mettre les questions raciales de côté et qu’elle s’enivrerait de son succès en oubliant sa mélanine. C’est comme ça que ça marche d’habitude. Les Noirs haut-placés oublient leur couleur. Ils se veulent uniques et non faisant partie d’une masse (noire). Au mieux, ils en parlent mais de manière consensuelle et conciliante. Avec humour et diplomatie. Ils ont réussi à en arriver là donc il ne faut pas trop leur en demander…

C’est comme ça que ça marche d’habitude…non?

Alors, Aïssa nous a tous surpris.

DECEPTION

Le fond, oui. La forme, à revoir. On a beau aimer Aïssa, il y avait quelque chose de malaisant dans son discours.
Les mots s’enchaînaient, des fois sans réelle conviction.
A-t-elle préparé  son discours? Était-ce en partie improvisé? Avait-elle peur? Est-elle convaincue par ce qu’elle dit? Pourquoi rit-elle comme ça? La gêne? Elle va bien là?

Le moment où elle s’adresse à Vincent Cassel n’a, sur le coup, pas été compris d’une partie du public. « J’en ai oublié un, c’est Vincent Cassel. C’était toi le renoi du cinéma francais avant… avant la diversité? »

Vincent Cassel, « Le renoi du cinéma français »???

Vincent Cassel dans le film La Haine. Hubert Koundé (à droite) et Saïd Taghmaoui (au milieu)

Qui se souvenait encore que Vincent Cassel avait joué dans le film « La Haine »? Film dans lequel il interprète un Jeune de banlieue. Vous vous souvenez de ces célèbres mots » Jusqu’ici tout va bien. Jusqu’ici tout va bien. Mais l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage ».


Il a eu le rôle principal. Il a eu un grand succès qui sera le point de départ de sa carrière. Les autres acteurs du film, ses acolytes « Noirs et Arabes », n’ont pas eu le même succès. Alors, oui, il fut un temps où Vincent Cassel était  le « renoi » du cinéma français. On lui donnait des rôles pour lequel un Noir aurait été plus indiqué puisque la banlieue est constitué majoritairement de « Noirs et d’Arabes »…

Maintenant que ce point est éclairci, on comprend la remarque d’Aïssa Maïga mais sur le coup, cela n’était pas vraiment évident.

Ensuite, il y a son langage volontairement grossier qui sonne mal.
Quand Aïssa parle de « Beurre » pour désigner les personnes d’origine Maghrebine ou de « Noch » pour désigner les Asiatiques, on comprend bien que ce ne sont pas ses mots et qu’elle reprend le vocabulaire de personnes racistes (ou de personnes racistes qui s’ignorent) mais dans ce contexte où elle a du mal à sortir son discours de manière fluide, ça sonne plus comme des insultes que comme une intention de dénoncer le racisme ambiant dans le cinéma français.

Peu d’assurance, manque de clarté parfois, rire forcé inapproprié , la forme du discours a occulté la qualité des arguments de fond. C’est malheureusement sur la forme que beaucoup s’arrêteront.

À sa décharge, il n’est pas facile de parler de discriminations raciales dans une France qui nie les couleurs. L’émotion et le stress l’ont sûrement emporté sur ses qualités d’actrice.

DISCRIMINATION RACIALE

Si la forme est sujette à discussion, le fond lui est réel.

Oui, les acteurs et actrices Noirs sont cantonnés au rôle de femmes de ménage à « l’accent africain », de voleurs à l’étalage, de cancres de la classe, de « panthères avides de sexe », de prostituées…

Quid des rôles d’écrivain? Tiens! Alexandre Dumas est Métis, il pourrait (devrait?) être interprété par un Métis… Mais non! Comme il s’agit d’un écrivain, même si Alexandre Dumas est Métis, il sera joué par un Blanc…. Depardieu… Gérard Depardieu… Whitewashing! Quand est-ce que les acteurs et actrices Métis ou Noires pourront-ils incarner des personnages au grand écran?  Vivement  ce jour où un personnage Blanc sera joué par un Noir ou un Métis. Oups ça n’arrivera sûrement jamais dans ce sens…

L’affiche du film « L’Autre Dumas » retraçant la vie d’Alexandre Dumas.

L’invisibilité voire l’invisibilisation des actrices et acteurs Noires dans le cinéma est réelle.
Il est légitime qu’une grande actrice telle Aïssa Maïga dénonce le fait qu’on lui propose tout le temps des rôles stéréotypés.

Aux Etats-Unis, il y a des séries 100% Noires que tout le monde regarde. Ces séries ont du succès. Ici, en France, on doit pleurer pour avoir un Noir dans un film.

Cette discrimination dépasse d’ailleurs le monde du cinéma.
Les discriminations à l’embauche, les discriminations logement, les contrôles au faciès, les violences policières… C’est aussi tout ça qui se cache derrière le discours d’Aïssa Maïga. Alors, même si la forme est critiquable, à revoir, passable, maladroite, nulle, il faut bien admettre qu’elle a eu le courage de mettre les pieds dans le plat et de dénoncer ce que beaucoup feignent d’ignorer une fois qu’ils ont atteint le succès.

Adèle Haenel quittant la cérémonie des Césars quand le prix du « Meilleur Réalisateur » est remis à Roman Polanski pour son film « J’accuse »

Et puis, dans ces Césars, il y avait une vague de contestation. On y a dénoncé les violences faites aux femmes, le patriarcat. Souvenons-nous de Adèle Haenel qui « se barre » en entendant le nom de Polanski recevant un prix pour son film « J’accuse ».
On a remis en question la direction des Césars entrainant la démission collective des membres de la direction. Pourquoi ne pas dénoncer le racisme? Après tout, Aïssa s’est inscrite dans la longue liste des contestataires contre cette cérémonie des Césars vieillissante.

BREF

On pourra regretter un manque de soutien affirmé à Aïssa Maïga du cinéaste Ladj Ly qui a reçu 4 Césars pour son film sur la banlieue. Il n’a pas rebondi sur le discours d’Aïssa Maïga. Fait-il parti de ces Noirs qui ne veulent plus parler de race une fois le succès atteint? Nul ne sait. Et Omar Sy, where are you?

Ladj Ly a reçu 4 Césars pour son film « Les Misérables »

Une tribune a été écrite pour dénoncer le manque de visibilité dans les Césars avec le #blackcesars. Stomy Bugsy, Sonia Rolland et d’autres l’ont signé. Et encore une fois, Omar Sy où es-tu?

V.J.V

P.S : Je me suis permise de l’appeler par son prénom dans cet article parce que… c’est la famille, non? 😉

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